résistance

Avant l’acceptation il y a eu la lutte.
Je ne savais pas dans quel ordre écrire, acceptation, résistance, peut-être qu’il aurait fallu raconter la résistance d’abord, l’abandon ensuite, l’acceptation finalement, ce qui reste quand la vague se résorbe, quand la mer se retire et qu’apparaît, scintillante de restes d’écume, une large grève de sable clair et lisse.

Avant l’acceptation il y a eu la lutte, et au cœur de la lutte mon réflexe de résistance qui s’est réveillé et m’a permis de revenir à moi, de comprendre ce dont j’avais besoin, de me faire confiance à nouveau.
Je ne sais pas si réflexe est le bon mot, ce n’est ni un automatisme de principe – être contre parce que quelqu’un d’autre est pour, ne pas avoir envie de faire quelque chose juste parce qu’on m’a demandé de le faire – ni une réponse spontanée et immédiate aux agressions extérieures. Et en même temps – mes réflexes physiques aussi sont souvent un peu décalés, adviennent trop tôt ou trop tard ou pas comme il faut. Mon réflexe de résistance, c’est, pareil, un instinct de survie qui a un peu perdu son équilibre, à force d’être secoué.

*

J’ai écrit que je n’étais jamais contre par principe, et pourtant, c’est quelque chose qu’on m’a beaucoup reproché, et qui me faisait parfois enrager en me maintenant dans un piège circulaire dont je ne pouvais pas m’échapper : « tu dis toujours non » Mais non ! « ah, tu vois ».

On m’a souvent dit, enfant, que j’étais une forte tête, un sacré caractère, désobéissante, confinant à l’insolence. Je crois que souvent, c’était juste que l’adulte qui disait ça m’avait imposé des règles, un jugement, une opinion, qui n’étaient pas compatibles avec les miennes. Ce qui me chagrinait quand on me disait ça, ce n’était pas tant qu’on y attribuait un jugement négatif – d’ailleurs, selon les contextes et les personnes qui l’énonçaient, il y avait parfois une nuance d’amusement ou de fierté – c’était que ce n’était pas forcément vrai. On interprétait comme rébellion ou résistance ce qui n’était que l’expression tout à fait polie et minimale de mes besoins, mes goûts et mes désirs.
Je n’ai jamais aimé la lutte – TDAH ou trauma ou les deux, je me décourage très vite devant le moindre obstacle, et je ne supporte pas le conflit -, et pourtant, j’ai dû me construire dans la résistance. J’ai dû plus souvent m’orienter par opposition à quelque chose qui ne me convenait pas, plutôt que par attraction pour quelque chose qui me plaisait. 

*

Parce que j’ai été si souvent en résistance – en désaccord, en critique, en doute, en révolte -, souvent à des âges où une majorité des filles cherchaient à être sages et conciliantes, je ne me considère pas comme quelqu’un qui ne sait pas ce qu’iel veut : je n’ai pas été un enfant timide et effacé, j’avais mes opinions et mes projets, et même quand je jouais à la fille parfaite on ne m’a jamais qualifié·e de sage. (la vérité, c’est que j’ai aussi parfois voulu être plus calme, plus douce, plus « gentille » : mais je n’arrivais pas à contrôler mes émotions explosives et policer davantage mon comportement)

C’est là que ça devient compliqué pour moi de me construire une narration ou une image d’ensemble cohérente concernant mon parcours de vie. Je ne suis pas la victime parfaite ; je n’ai pas été gentille, j’ai été en colère, je me suis défendu. J’ai continuellement dit de l’enfance à l’adolescence que je détestais mon père et qu’il abusait de son autorité, j’ai tenu tête à tous mes profs et quitté des salles de classe en furie quand il se disait quelque chose qui m’indignait, j’ai tellement crié à l’injustice et voulu faire valoir mon opinion que ça blaguait dès mes huit ans sur le fait que j’étais déjà en crise d’adolescence, et que moi adulte je suis embarrassé de certaines de mes exagérations de jeunesse, ma tendance à rendre romanesque et dramatique la moindre de mes minuscules émotions et expériences. Mais. Ils ont fini par m’avoir, à l’usure et au surplus. Il y a des limites à l’imperméabilité, et je ne suis pas faite d’un matériau de qualité supérieure. À force, ma voix intérieure a commencé à se faire l’écho des voix externes. J’ai commencé à ne plus distinguer leurs attentes de mes besoins, un genre de daltonisme émotionnel. J’ai perdu ma boussole interne, et j’ai toujours davantage suivi leurs directions sans me rendre compte que j’allais dans le mauvais sens.

Maintenant, j’ai des doutes, tout le temps. C’est ça, beaucoup, pour moi, le trauma – un traumatisme qui est devenu traumatisme sur la durée, qui a grandi et s’est renforcé petit à petit. Et le fait que la plaie se creuse au fur et à mesure rend la douleur plus diffuse, plus difficile à cerner et à prendre au sérieux – mais la cicatrisation plus difficile. Surtout que cet impact traumatique-là, malin, avait prévu ses arrières : il a d’abord fallu me faire croire, plus fort que tout, que je suis un fort caractère, quelqu’un qui sait se défendre, quelqu’un qui sait s’affirmer, et que donc le risque à surveiller, c’est pas que moi je me fasse marcher sur les pieds, c’est que je risque de marcher sur les pieds des autres. C’est que je risque même d’agresser les autres, d’être violente, d’être méchante. Plus mon attention s’est focalisée là-dessus – une fois que l’opération « apprendre à être socialement acceptable » a été lancée -, moins j’ai réussi à me défendre. J’ai commencé à être en hypervigilance constante, incapable de retourner dans ma bulle. J’ai développé de l’anxiété sociale que je n’avais pas auparavant. J’ai travaillé à comprendre les autres, jusqu’à tout leur pardonner – jusqu’à leur permettre de me maltraiter parce que j’étais en empathie avec leurs émotions plus qu’avec les miennes. J’ai repêché de ma mémoire les trucs qu’on m’avait faits, les trucs qu’on m’avait dits, des années plus tôt, et je les ai interprétés autrement. Je me suis dit que finalement, c’était vrai, que je le méritais.

*

Je n’ai jamais totalement perdu mon instinct de survie, mon réflexe de résistance. Je n’ai même pas piétiné totalement ma personnalité et mes goûts. J’ai aussi fait des études que je voulais faire, exprimé des besoins et limites dans certaines relations, continué à me disputer avec mon père, cherché des compromis entre les habits plus « adultes » et ce que je supportais sensoriellement, et très tôt pris conscience et exprimé qu’un travail temps plein dans un bureau avec des gens, ça n’allait pas le faire. Je n’ai jamais réussi à passer inaperçu dans le monde, à être parfaite, à rafler les succès et accomplissements qu’on attendait de moi, à être l’ami·e ou la fille ou la sœur ou l’amoureuxse qu’on voulait que je sois. J’ai pété les plombs, beaucoup, j’ai renoncé, souvent. Et à chacun de mes échecs j’avais aussi un petit sentiment de soulagement, d’apaisement, de cohérence interne, parce que je sentais que si j’avais finalement tout ravagé ou laissé tomber, c’était parce que ça ne me convenait pas. Et je pensais qu’au fil des années et des expériences, j’allais pouvoir toujours plus révéler mes besoins et mes désirs sans devoir, avant, passer par une lutte ou une crise destructrice. Je me disais que quand même, pour mon jeune âge, je me connais hyper bien, je sais ce que je veux et ce qui me fait du bien. 

C’était un peu plus compliqué que ça.
Et pas juste parce qu’il y a les contraintes externes (le capitalisme et l’obligation de gagner de l’argent, et comment se débrouiller pour habiter quelque part quand on n’a que trop peu d’argent) – aussi parce que j’avais intégré et adopté, malgré moi, bien plus de choses contraires à mes besoins et valeurs que ce que j’en avais conscience.

Quelque part, lutter contre des structures, préjugés, jugements, obligations, imposées de l’extérieur était plus facile que de me retrouver avec la liberté (relative, parce que capitalisme mentionné ci-dessus) de ne rien faire de mes journées, de me faire plaisir tout le temps, de m’aimer tout le temps. 
Peut-être que tant que je luttais contre un ennemi visible, présent, écrasant, tant que c’était des voix réelles et un environnement et un rythme qui m’étaient imposés de l’extérieur (le rythme scolaire ou de jobs que je n’aimais pas, les critiques de mon comportement d’autiste de la part d’amoureuxses ou ami·es mal adapté·es), je pouvais plus facilement identifier qui était l’ennemi, où était l’ennemi (mais honnêtement : pas tout le temps). J’étais souvent brutalement et intensément en colère, en sentiment d’injustice. Je n’avais pas le choix que de résister au moins un peu, de me défendre et m’aimer au moins un peu : sinon, je crevais.
Mais moins il y a de contraintes extérieures immédiates, visibles, concrètes, plus je doute de moi ; plus les voix extérieures autrefois enregistrées, désormais amplifiées par des années de répétition et d’effet grossissant de mon anxiété, viennent prendre les commandes de mon cerveau.

*

Ces dernières années, pour fuir l’inconfort du doute constant, j’ai été me chercher d’autres repères, d’autres cadres. D’autres voix, littéralement : quand je ne sais pas quoi faire de moi-même, je m’imagine ce que me dirait ma psy, et sa voix résonne dans ma tête. Je lui ai demandé parfois de me noter des trucs sur un morceau de papier, que je puisse l’accrocher à mon frigo ou le glisser dans mon agenda, vérifier que c’est bien quelqu’un d’autre qui l’a énoncé. J’arrive chez ma psy toujours avide d’instructions, de devoirs, je veux être la bonne élève que je n’ai jamais été [à vrai dire, j’ai eu des bonnes notes, mais jamais vraiment parce que j’avais un comportement de bon élève]. J’aimerais qu’on me dise quoi faire et que je le fasse et que ça puisse aller si simplement que ça. 

Mais c’est une bonne psy, alors ses potentielles suggestions, conseils et idées ne sont pas des règles ni même vraiment des instructions. C’est moi qui ai envie d’en faire des attentes intransigeantes et des règles rigides, parce que je ne me fais pas confiance, ou parce que c’est plus simple à intégrer pour mon cerveau autiste. Souvent, c’est justement le fait de poser un cadre qui me permet de me rendre compte de ce qui doit être assoupli et adapté dans ce cadre afin qu’il me soit bénéfique. Et ma psy est ravie quand je reviens la fois d’après avec des observations critiques et des nuances ; peut-être encore plus ravie quand je ne suis vraiment pas d’accord avec elle et que finalement je ne suis pas le conseil qu’elle m’a donné – puisque ça signifie généralement que j’ai découvert quelque chose par moi-même qui est mieux pour moi, parce que j’ai su trouver ce qu’il me fallait et que, en plus, j’ose lui dire. Et oser être sa propre personne malgré la crainte de perdre l’approbation ou le soutien, quand on est handi/neuroatypique et qu’on a un c-ptsd massif, c’est un sacré accomplissement. 

Alors il a fallu ça. [Je reviens à ma prise de conscience de ce mois-ci, après moults détours par mon passé.] Il a fallu que ma psy me donne un conseil et que j’essaye de l’appliquer mais que ça n’aille pas du tout et que j’interprète ce qu’elle m’a dit de manière rigide et totalitaire et que je perde totalement confiance en mes ressentis et que j’en termine en crise violente, plusieurs fois.

Ce qui s’est passé, c’est juste qu’on a discuté de mon anxiété devenue envahissante, des pensées intrusives, de ma peur de tout, ma peur de tomber malade, ma peur de me blesser, ma peur de faire des choses qui auraient des conséquences graves, ma peur de mal faire, ma peur de sortir de chez moi, ma peur d’avoir des gens chez moi, ma peur de tout. J’ai souvent considéré que mon anxiété et ma rigidité mentale étaient des mécanismes de protection ; et quand mes besoins d’ordre et de propreté, ma peur de la contamination, mon angoisse de l’extérieur s’intensifient au point de réduire mes possibilités d’activités, c’est généralement que j’ai besoin de repos. Là, il y a eu un flou ; je n’ai jamais été aussi envahie par mes anxiétés et mon inconfort, et je ne savais plus si toutes mes pensées intrusives étaient une expression ou au contraire la cause de mon épuisement. Parce que j’ai exprimé, cette fois-là chez ma psy, ma frustration de faire toujours moins de choses, elle m’a conseillé de forcer, de ne pas écouter l’angoisse. D’y aller, aux endroits qui me font peur, de les faire, les choses qui me font peur.

Tout s’est amplifié et rigidifié dans ma tête. Soudain plus aucune de mes peurs ou inconforts n’était un signal d’alarme raisonnable. Soudain je suis devenu l’ennemi dont me méfier constamment. Je suis devenu dingue de ne plus savoir à quoi faire confiance. J’avais passé les dernières années à essayer d’apprendre à écouter mes besoins et mes envies, et d’un coup il n’en était plus du tout question, mon seul mot d’ordre était : faire tout ce qui m’est difficile.

Et pendant ces jours-là, je me remémorais ma lutte pour réapprendre à manger, ma lutte pour réapprendre à stimmer, ma lutte pour m’autoriser à prendre les médicaments dont j’ai besoin ; je me disais que là aussi il avait fallu que j’aille contre mon instinct, au-delà de mon angoisse irrationnelle ; là aussi il avait fallu que je fasse cent fois quelque chose qui me semblait épouvantable avant que ça me semble bien. Alors sûrement, à nouveau, c’est un bon combat, il faut que je lutte contre mes angoisses qui me maintiennent caché chez moi, il faut que je sorte, que je prenne les transports en commun, que j’aille dans des lieux fréquentés, que je voie des gens.

Mais j’avais oublié quelque chose.
Que mes combats doivent venir de moi. De moi-moi, pas du moi contraint ou traumatisé – ce qui n’est aussi qu’une forme de contrainte en différé, d’ailleurs. Il faut que je décide d’affronter quelque chose parce que j’ai envie d’aller au-delà, pas parce que j’ai peur de ce que les autres penseront de moi. Enfant, j’ai fait beaucoup de choses sous la contrainte et la menace, guidée par la peur ou le besoin qu’on me fiche la paix. Enfant, j’ai fait beaucoup de choses dont je n’ai retiré aucun plaisir, aucune fierté, aucune compétence ou confiance en moi.
C’est compliqué de savoir ce dont on a réellement besoin quand on a besoin d’aide, quand on demande de l’aide. Je suis le patient (l’enfant, le malade, la personne âgée, choisissez votre catégorie) chiant, qui arrive à faire si peu soi-même mais veut quand même absolument tout faire par soi-même, même si ça prendra beaucoup plus de temps ou semblera inutilement compliqué à la personne qui nous assiste à côté. Je suis aussi la personne chiante qui parle cent et une fois de ce qu’elle veut faire sans le faire, mais je finirai pourtant par le faire, à la cent deuxième fois.
C’est comme ça, il faut que je l’aie décidé, que j’y sois vraiment prêt, que je prenne mon temps, que je puisse hésiter encore un peu si jamais j’ai trop peur, que je sois ok avec le fait de me casser la gueule, que je puisse pleurer un coup et me consoler et me décourager et me reposer de m’être cassé la gueule, que je reparte, que je fasse à ma manière. C’est comme ça et ça n’a jamais vraiment été accepté, certainement pas des principaux adultes responsables de mon éducation, qui maniaient les gifles, l’humiliation et la privation en guise d’encouragement.

C’est ça que j’avais oublié, en me disant que oui, il faut que je force. C’est ça que je n’avais pas distingué : la voix en moi qui me disait qu’il me fallait des objectifs, un cadre, des défis, et que la fatigue, une blessure physique, la détresse, même une tempête météorologique qui a fait fermer tous les parcs et bloqué des transports, ce n’étaient que des excuses que je me cherchais – cette voix c’était la voix du trauma, la pression des contraintes sociales qui a déformé mon cerveau et mes instincts, le filtre du capitalo-validisme qui a déteint sur la couleur de mes propres valeurs. 

*

Il y a eu d’autres luttes, ces dernières années, il y a eu d’autres périodes de flou et de doute, où j’ai cherché à suivre des panneaux qui m’indiqueraient la bonne voie à suivre, où j’ai été trop rapide à suivre les panneaux brandis par les autres et qui finalement n’indiquaient pas forcément la bonne direction pour moi – oubliant que, littéralement, quand je me perds, il faut d’abord que je me laisse pleurer sans rien faire pendant cinq minutes, et que ce n’est qu’une fois la panique passée et le souffle retrouvé que je réussirai à lire ma carte routière ou écouter le chemin que m’indique un passant. Métaphoriquement, ça marche de la même manière : c’est vraiment pas confortable d’être perdu, d’avoir peur, et d’avoir la vision troublée par les larmes, mais c’est un état qui doit être traversé avant de prendre une décision. Dans le doute, faire une pause. 

Au lieu de quoi, j’ai laissé des gens me dire ce qui était bon pour moi, ce que je devrais faire dans mon propre intérêt. Parfois parce que j’avais dit moi-même que je voudrais me mettre au défi de ceci ou cela, que j’aimerais pouvoir faire ceci ou cela – mais sans, cela dit, leur demander de me pousser à ces défis. Ces personnes étaient parfois abusives et en profitaient en réalité pour me faire faire ce qui les arrangeait (« mais tu as dit toi-même que tu voulais apprendre à tolérer le contact physique » : vous voyez le risque ?) – mais parfois non, et j’ai des ami‧es proches et très chouettes et plein‧es d’amour et de respect pour moi dont le comportement m’a pourtant déclenché des crises en coulisses, et qui peuvent représenter un danger pour moi quand je suis en perte de repères. À vouloir m’encourager à faire ce qui semblerait bien pour moi, iels m’ont souvent encouragé – parfois sans le vouloir, voire même sans s’en douter, parce que bien intentionné‧es – à ne pas écouter mes résistances intérieures qui cherchaient à me protéger, à piétiner mon hésitation qui est pourtant le terreau de mon esprit critique et ma conscience de moi-même

Je sais ce que je veux, ce dont j’ai besoin, et quand, et comment – quand ça apparaît en grand en gros en fluo. Quand emprunter une voie me baigne immédiatement de soulagement ou me permet de cultiver une joie enthousiaste et radiante, quand faire les choses d’une certaine manière me facilite subitement et magiquement la tâche et rend tout fluide et satisfaisant, là, oui, je sais que je fais ce qu’il faut, même si c’est à contre-courant de ce qu’on demande ou attend de moi. 
Et parfois la visibilité est augmentée par effet de contraste, parce qu’on me propose ou m’impose quelque chose qui vraiment vraiment ne me convient pas, alors ça devient très clair en comparaison, en contradiction, je sais que non, pas ça, autre chose, je suis sûre. Mon instinct a besoin de lunettes, je distingue mal les contours, je suis habitué à la rage, au désespoir ou à l’euphorie, mais qu’est-ce qu’on fait du léger malaise, de l’ennui, de l’hésitation.

*

Encore une fois, c’est ce qui s’est passé. J’ai balayé le léger sentiment d’insatisfaction et les timides doutes, j’ai accumulé les expériences désagréables et suis passé par plusieurs crises auto-destructrices, avant qu’enfin mon réflexe de résistance et préservation soit suffisamment stimulé pour prendre le dessus.
J’étais par terre dans un coin de salle de cinéma, après plusieurs essais de gérer « comme il faudrait » mon angoisse et la surstimulation de la foule, après m’être détesté, m’être frappé et mordu pour ne pas crier, après avoir renoncé – 
chiffonné sur moi-même, en sanglots, en petit tas indifférencié de mes stimtoys, mon sac défait, ma veste, mes chaussures enlevées, la honte, qu’en penseront les autres, est-ce que c’est un échec, est-ce que je dois sortir pour pas déranger – 
au bout de mes capacités de lutte, crise après crise, violence sur violence, à ne plus en avoir rien à foutre de tout parce que de toutes façons, la dignité, les apparences, le statut social, ça s’était complètement perdu quelque part dans la bataille, il n’y avait plus que le sol ravagé et les morceaux de moi maltraités, alors, voilà, à ne plus avoir la force de me battre contre moi-même, il y a eu, soudain, l’amour. Pour moi-même. L’amour et la bienveillance, inconditionnels, absolus, prioritaires, pour moi-même.
et le contact du sol et du mur contre mon dos sont devenus ressourçants et non plus indignes, et mon corps replié sur lui-même en pagaille est devenu doux et rassurant et non plus honteux, et mes stimtoys sont redevenus ma joie et ma fierté, et mes larmes étaient bienfaisantes et accordées à l’émotion du film qui m’emportait.

Et je me suis promis de ne plus oublier ça, que c’est ok de ne pas aimer la foule, d’avoir besoin d’espace autour de soi, d’aller au cinéma quand le film est à l’affiche depuis tellement de temps que plus personne ne va le voir, de choisir des activités, des lieux et des contextes qui me font me sentir paisible et en sécurité. De ne plus oublier que je suis la personne la mieux placée pour savoir ce qui est bon pour moi. De ne plus oublier, surtout, que je peux me traiter avec bienveillance et acceptation quel que soit mon état, mes capacités, mes accomplissements.

*

Avant l’acceptation il y a eu la lutte, cette fois-ci encore, mais j’espère que toujours davantage, je saurai reconnaître et écouter mes instincts de résistance et mon besoin d’auto-protection avant d’entrer en grande bataille.

Laisser un commentaire