Ce serait plus facile si c’était de ma faute

J’ai passé une semaine épouvantable. Parce que trop de tâches de travail, de réunions et trucs en présentiel, quelques sorties sociales prévues la même semaine, des allergies au pollen, mes hallux valgus dans une période d’aggravation très douloureuse, mon corps qui ne s’adapte pas à l’augmentation de la température et de la luminosité, pas de garantie d’avoir un revenu mensuel dans quelques jours, et surtout, un énorme problème de sanitaires dans mon appartement qui me fait passer la journée à éponger de l’eau souillée qui me vient des voisins, me donner de l’asthme à essayer de laver et désinfecter, me décaper les mains à force de rincer et désinfecter, me faire avoir peur d’aller aux toilettes, passer du temps au téléphone et par mail à harceler l’agence responsable de l’appart, avoir eu un ouvrier chez moi qui a tout défait, tout dégueulassé, et n’a pas su régler le problème.

J’ai passé une semaine épouvantable mais aussi très chouette parfois, parce que je suis en train de baisser mes AD et que je retrouve la capacité à pleurer pour me décharger, la possibilité de ressentir davantage les joies et enthousiasmes quotidiens et éphémères qui rendent la vie belle même quand elle est dure, parce que j’ai été à un apéro-dîner plutôt cool et que j’ai mangé une bonne glace italienne avec mes collègues sur une place qui ressemble à un petit morceau de Sud au beau milieu de Bruxelles, parce qu’on m’a proposé des projets super intéressants, et parce que je reconnecte toujours plus, toujours mieux, avec mes réflexes de régulation originels, stimmer, danser, me balancer, fredonner, chanter. Mais hier soir, mon corps a dit stop. J’en étais à mon troisième ou quatrième meltdown de la semaine, et là, ça a été un pas plus loin. Mon corps a juste refusé de fonctionner. Je suis resté bloqué, par terre, incapable de bouger malgré la position inconfortable, la soif, l’odeur d’humidité et de pisse qui venait des toilettes à re-re-re-nettoyer, les heures qui défilaient jusqu’à bien après minuit. Je suis resté bloqué pendant des heures par terre et mon cerveau a grillé. J’ai eu l’impression d’une fin du monde, et honnêtement, ce matin encore, je me demande si mon corps n’est pas juste en train de mourir en mode accéléré, genre, pour bientôt.Lire la suite »

Pourquoi éviter de parler de syndrome d’Asperger, et autres considérations sur l’histoire de la médecine

Je ne vais pas mentir, chaque fois que j’entends le terme asperger, je me crispe, et j’ai tout de suite des préjugés sur la personne, sur ses valeurs et sa vision du monde, et sur si on va s’entendre ou pas. C’est ma réaction automatique, mon alarme intérieure instinctive, qui s’allume aussi quand j’entends quelqu’un utiliser les mots « en surpoids » ou « obèse », « transsexuel » ou même « porteur de handicap ». C’est comme un signe qu’on ne sait pas les mêmes choses, qu’on ne commence pas un dialogue sur les mêmes bases de connaissances et de partis pris.

Mais j’essaye de ne pas me laisser arrêter tout de suite par ma crispation spontanée – surtout si la personne parle d’elle-même, parce que, autodétermination et trauma. Les mots sont importants, mais le fond du discours aussi, et ne s’arrêter qu’aux mots (s’arrêter dans le sens juger et condamner ; parce que s’arrêter dans le sens se retirer de la conversation ou ne plus s’exposer au contenu présentant ses mots est légitime quand on est une personne concernée et qu’on ne supporte pas la violence que ces mots portent) peut priver d’un dialogue bénéfique, et risque aussi de reproduire des violences classistes et validistes, parce que tout le monde n’a pas eu l’occasion au même rythme ou de la même manière de s’informer, d’acquérir des connaissances, de changer son langage. Moi aussi, j’ai utilisé les « mauvais mots », moi aussi j’ai appris, moi aussi je dis parfois des choses justes pas de la manière qu’il faut, ou des bêtises sous une forme acceptable. Par rapport au terme Asperger spécifiquement, la plupart du temps, je ne réagis même plus ou seulement superficiellement (« ce n’est plus un terme d’actualité ») – parce que je n’ai pas l’énergie, parce que ce n’est pas le moment d’expliquer, ou parce qu’au final ce n’est pas ça qui m’embête le plus quand on parle d’autisme. (même si, oui, je suis pour d’abandonner ce terme définitivement)

Au-delà du fait que je n’aime pas qu’on saute à la gorge de la moindre personne qui utilise le terme asperger ou l’expression « syndrome d’Asperger » en supposant que cette personne est forcément malveillante (je comprends cela dit, et je ne condamne pas les personnes autistes qui le font, c’est usant de faire face au validisme tout le temps, partout), ce qui m’agace parfois davantage, c’est qu’on réduise l’argumentaire à « c’est le nom d’un nazi », raccourci en « asperger = nazi », et même « n’importe qui utilisant son nom est complice du nazisme ». Alors, bon. Oui un peu. Mais non aussi. On vire vite à la pureté militante par principe – utiliser les « bons mots », mais sans comprendre les réalités derrière. Ce qui donne des personnes qui n’utilisent pas le mot asperger mais entretiennent et reproduisent quand même des croyances validistes, des personnes qui harcèlent sur internet des novices qui n’ont pas pu encore avoir accès aux connaissances et se retrouvent d’office rejeté·es de leur communauté, et des personnes qui font la police du vocabulaire sans pour autant elles-mêmes s’informer, se remettre en question, et se montrer alliées d’autres causes et problématiques qui reviennent exactement à la même chose.

Reprenons donc depuis le début.

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Je n’aime pas qu’on me demande comment je vais

Et pas juste parce que la plupart des gens posent un « ça va ? » automatique au début d’une conversation qui n’est même pas conscient et qui ne requiert pas vraiment une réponse, ni parce que j’ai passé les derniers mois à dire que j’étais épuisé et au bord du burnout et que la plupart des gens m’ont juste répondu que c’est super que je fasse autant de choses et que je commence à obtenir une reconnaissance professionnelle. Non, même avec mes ami·es qui se soucient réellement de moi, et même avec mes ami·es autistes qui ont passé leur vie à galérer avec les conventions sociales, la fatidique question « Comment vas-tu ? » me désoriente et m’angoisse. Voilà pourquoi.

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Copie blanche

Commentaire de ma prof de littérature de lycée sur une copie rendue blanche : « Il n’est ni très courageux ni très mature de refuser de se mesurer au réel, quand il ne semble pas facile. Il n’y a pas grande gloire à briller là où on est doué. C’est devant la difficulté qu’on mesure ses propres capacités. Songez-y. »

J’ai sûrement déjà raconté une partie de ce qui suit dans mes articles sur la scolarité, mais retrouver ça dans mes cartons m’a mis dans une telle colère et douleur que j’ai besoin d’y consacrer quelques lignes à part entière.

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Des monstres, de l’empathie et Karaba la sorcière

« Vos qualités ne disparaissent pas quand vous êtes fatigué·e », m’a dit ma psy en juin, alors que je me dévalorisais et m’inquiétais de perdre mes ami·es, puisque traversant une période d’épuisement et de trop-plein, j’étais incapable d’être l’ami·e que j’aurais aimé être, et que je ne voyais donc pas de raison que des gens continuent à m’aimer.

Mes qualités ne disparaissent pas selon le contexte, donc, paraît-il, et je continue à retourner cette phrase dans tous les sens et ne pas vraiment la comprendre. Ou ne pas l’accepter ? Ce qui est curieux parce que je pourrais très bien la dire à mes ami·es et y croire totalement, parce qu’en effet je n’évalue pas la performance de mes ami·es tous les mois et que je continue à les aimer et à croire en toutes leurs qualités et les percevoir comme des personnes riches et intéressantes et magiques et magnifiques, que l’on soit en contact ou pas, que l’on vive des choses ensemble ou pas, qu’iels aient l’énergie et le temps de me répondre et potentiellement de me soutenir, ou pas. Mais si je savais me juger de la même manière que je juge le reste du monde, j’aurais un budget psy plus réduit et je n’en serais pas là aujourd’hui à raconter à internet le comment et le pourquoi de ma maltraitance envers moi-même.

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Autopsie d’un meltdown en public

Je viens de craquer en pleine gare du Midi [une des gares principales à Bruxelles], une crise bien visible : j’ai agité mes bras, ai commencé à me donner des coups sur la tête, laissé s’échapper gémissements et invectives verbales incontrôlables (moi qui ne jure qu’en mon fort intérieur normalement), me suis roulé en boule par terre en jetant mes affaires autour de moi et me suis balancé un instant sur moi-même en couvrant mes oreilles de mes mains et fermant les yeux. Puis, quelques minutes plus tard, je me suis relevé, je suis reparti, voilà, circulez, y’a rien à voir.
Je voulais juste en faire une anecdote à raconter à deux-trois copines ce matin pour recevoir un peu de réconfort, ou à la limite un post sur la page facebook de mon blog, puis je me suis dit que ça pouvait être un bon « cas pratique » de ce qui est le quotidien de certaines personnes autistes.

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Cette honte qui m’anéantit – ce que je ressens lors d’un flashback émotionnel

[Avertissement de contenu : description détaillées de ressentis négatifs et violents liés à un syndrome de stress post-traumatique complexe, mention sans détails de violences éducatives et sociétales sexistes et validistes]

[Je n’ai pas encore pris le temps / l’énergie de mettre des CW avant mes autres articles, c’est en projet, mais celui-ci, je fais une liste plus bas des pensées violentes qui me traversent lorsque j’ai des flashbacks émotionnels]

Elle est revenue. Elle est là. Ça m’englue et me pèse et m’étouffe et me brûle, c’est partout à l’intérieur à l’extérieur, je ne m’en sors pas, c’est total et puissant, ça me fait passer tellement de jours de nuits dans l’angoisse et l’anéantissement. Elle est revenue hier soir, elle est revenue il y a trois jours, elle ne cesse presque pas d’être là depuis un mois, elle était déjà devenue une visiteuse familière depuis deux ans et demi, j’ai dû l’ajouter à mon quotidien, lui donner sa place dans mon emploi du temps, la laisser piétiner mes projets, ronger mes relations, détruire mes acquis, décimer mon estime de moi, impacter ma santé, saboter mes progrès.

Elle est revenue dis-je, mais elle n’est jamais vraiment partie je crois.

Elle m’a toujours freiné‧e dans la vie, toujours plus à partir du moment où j’ai commencé à masquer véritablement, toujours plus à partir du moment où j’ai essayé de m’intégrer, d’essayer des choses, d’oser, d’aimer et me laisser aimer, de m’attacher aux gens, de rêver à du confort. Elle était toujours là pour me mordre aux chevilles, m’enserrer les poumons, assombrir mes pensées, ajouter des obstacles, détruire des routes.Lire la suite »

Les bases : les cuillères

1. Une amie a annulé notre rdv l’autre jour en m’écrivant : « Je n’ai plus les cuillères. » Qu’est-ce qu’elle entend par là ?
2. D’où vient cette expression ?
3. Pourquoi ne pas juste parler d’énergie et de fatigue ?
4. J’aime bien cette métaphore. Moi aussi, je peux parler de cuillères ?
5. Qu’est-ce qui coûte combien de cuillères ?
6. Que se passe-t-il quand le tiroir à cuillères est vide ?
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Et chaque fois à nouveau

Chaque fois. Chaque fois à nouveau, se sentir si entièrement, totalement, irrémédiablement vaincu·e. À chaque fois perdre espoir, se dire que c’est fini, qu’on n’a plus la force. À chaque fois me remettre intégralement en question, voir la crise comme un échec qui annule tous les précédents progrès, apprentissages, victoires.

Chaque fois le temps perdu, l’énergie perdue, la semaine perdue, chaque fois la honte, les excuses à inventer, l’embarras de ne pas pouvoir tenir des engagements, l’emploi du temps à réécrire, les courses à refaire, l’appart à ranger, le corps à réparer.

Chaque fois sangloter comme un bébé en boule par terre, se sentir seul·e au monde, noyé de détresse, gémir comme un chat blessé et rêver en vain que quelqu’un vienne me relever, me soigner, me surveiller, me dicter quoi faire et me remettre sur les rails.

Chaque fois les douleurs, les insomnies, le corps qui dysfonctionne, se rebelle, arrête de coopérer, les pensées qui s’emballent, m’échappent, s’accumulent et s’avalanchent jusqu’à m’ensevelir et m’étouffer. Et le cercle vicieux crise > épuisement > détestation de soi > crise auquel échapper, dans lequel je me prends les pieds, circuit infernal qui durera un, deux, trois, parfois huit jours, jusqu’à que ce que je trouve à nouveau un appui extérieur qui me permette d’enjamber ce cercle et d’en sortir.

Chaque fois c’est comme si on n’avait rien appris, rien construit, rien acquis, on se retrouve démuni, nu, écorché, sans abri et sans forces. Lire la suite »