Je ne vais pas mentir, chaque fois que j’entends le terme asperger, je me crispe, et j’ai tout de suite des préjugés sur la personne, sur ses valeurs et sa vision du monde, et sur si on va s’entendre ou pas. C’est ma réaction automatique, mon alarme intérieure instinctive, qui s’allume aussi quand j’entends quelqu’un utiliser les mots « en surpoids » ou « obèse », « transsexuel » ou même « porteur de handicap ». C’est comme un signe qu’on ne sait pas les mêmes choses, qu’on ne commence pas un dialogue sur les mêmes bases de connaissances et de partis pris.
Mais j’essaye de ne pas me laisser arrêter tout de suite par ma crispation spontanée – surtout si la personne parle d’elle-même, parce que, autodétermination et trauma. Les mots sont importants, mais le fond du discours aussi, et ne s’arrêter qu’aux mots (s’arrêter dans le sens juger et condamner ; parce que s’arrêter dans le sens se retirer de la conversation ou ne plus s’exposer au contenu présentant ses mots est légitime quand on est une personne concernée et qu’on ne supporte pas la violence que ces mots portent) peut priver d’un dialogue bénéfique, et risque aussi de reproduire des violences classistes et validistes, parce que tout le monde n’a pas eu l’occasion au même rythme ou de la même manière de s’informer, d’acquérir des connaissances, de changer son langage. Moi aussi, j’ai utilisé les « mauvais mots », moi aussi j’ai appris, moi aussi je dis parfois des choses justes pas de la manière qu’il faut, ou des bêtises sous une forme acceptable. Par rapport au terme Asperger spécifiquement, la plupart du temps, je ne réagis même plus ou seulement superficiellement (« ce n’est plus un terme d’actualité ») – parce que je n’ai pas l’énergie, parce que ce n’est pas le moment d’expliquer, ou parce qu’au final ce n’est pas ça qui m’embête le plus quand on parle d’autisme. (même si, oui, je suis pour d’abandonner ce terme définitivement)
Au-delà du fait que je n’aime pas qu’on saute à la gorge de la moindre personne qui utilise le terme asperger ou l’expression « syndrome d’Asperger » en supposant que cette personne est forcément malveillante (je comprends cela dit, et je ne condamne pas les personnes autistes qui le font, c’est usant de faire face au validisme tout le temps, partout), ce qui m’agace parfois davantage, c’est qu’on réduise l’argumentaire à « c’est le nom d’un nazi », raccourci en « asperger = nazi », et même « n’importe qui utilisant son nom est complice du nazisme ». Alors, bon. Oui un peu. Mais non aussi. On vire vite à la pureté militante par principe – utiliser les « bons mots », mais sans comprendre les réalités derrière. Ce qui donne des personnes qui n’utilisent pas le mot asperger mais entretiennent et reproduisent quand même des croyances validistes, des personnes qui harcèlent sur internet des novices qui n’ont pas pu encore avoir accès aux connaissances et se retrouvent d’office rejeté·es de leur communauté, et des personnes qui font la police du vocabulaire sans pour autant elles-mêmes s’informer, se remettre en question, et se montrer alliées d’autres causes et problématiques qui reviennent exactement à la même chose.
Reprenons donc depuis le début.
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