être adulte

J’ai trente-trois ans et chaque année l’impression que les douze mois qui me séparent de mon dernier anniversaire ont passé plus vite et plus mal, pas le plus vite de quand on s’amuse et qu’on vit plein de trucs, le plus vite d’il n’y a pas eu assez de temps pour vivre et mesurer le temps, à force de faire des trucs d’adulte pas marrants et d’avoir des responsabilités administratives et pratiques, avec un réservoir d’énergie toujours plus vite à sec.

Et tout en faisant ces trucs d’adulte, j’ai toujours plus l’impression d’être un enfant. J’ai peur, je suis perdu, je suis frustré, je suis triste, et j’ai envie qu’on me rassure, j’ai envie qu’on me prenne par la main, j’ai envie qu’on me console, j’ai envie qu’on fasse les choses à ma place et qu’on prenne soin de moi, un peu.

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résistance

Avant l’acceptation il y a eu la lutte.
Je ne savais pas dans quel ordre écrire, acceptation, résistance, peut-être qu’il aurait fallu raconter la résistance d’abord, l’abandon ensuite, l’acceptation finalement, ce qui reste quand la vague se résorbe, quand la mer se retire et qu’apparaît, scintillante de restes d’écume, une large grève de sable clair et lisse.

Avant l’acceptation il y a eu la lutte, et au cœur de la lutte mon réflexe de résistance qui s’est réveillé et m’a permis de revenir à moi, de comprendre ce dont j’avais besoin, de me faire confiance à nouveau.
Je ne sais pas si réflexe est le bon mot, ce n’est ni un automatisme de principe – être contre parce que quelqu’un d’autre est pour, ne pas avoir envie de faire quelque chose juste parce qu’on m’a demandé de le faire – ni une réponse spontanée et immédiate aux agressions extérieures. Et en même temps – mes réflexes physiques aussi sont souvent un peu décalés, adviennent trop tôt ou trop tard ou pas comme il faut. Mon réflexe de résistance, c’est, pareil, un instinct de survie qui a un peu perdu son équilibre, à force d’être secoué.

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acceptation

Je n’ai pas envie que tout soit toujours un défi à relever, un challenge à accepter.
Je n’ai pas envie d’avoir des buts et des objectifs, pas même des petits, pas même des découpés en morceaux, pas même des accessibles.
Je n’ai pas envie d’exister sans cesse sous le filtre des attentes et de devoir évaluer ma réussite, pardonner mes échecs, analyser les obstacles, corriger ma stratégie pour la prochaine fois.

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Zone en travaux et graffitis impatients

Je n’ai jamais eu envie d’arrêter de publier des textes et des articles, je n’ai jamais eu envie de cesser d’habiter mon blog, ou de changer totalement d’environnement et d’en créer un nouveau pour ne pas avoir m’occuper des murs qui s’effritent et du bazar qui s’accumule dans un coin. C’est pas vraiment mon genre, de tout laisser derrière moi et recommencer à zéro, même si je rêve souvent que ça puisse l’être.

J’ai été occupé – par mes engagements associatifs, par mon travail non-officiel, par des soucis matériels, par la dépression, par le burnout, par la vie quoi – et moins j’ai publié, moins j’ai osé publier. Moins j’ai osé écrire, aussi, parce qu’il y avait toujours “plus important” que mon blog, et quand j’écrivais, c’était du temps volé, du temps coupable, du temps forcément court et interrompu, qui ne menait donc pas davantage à publication.

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Ce serait plus facile si c’était de ma faute

J’ai passé une semaine épouvantable. Parce que trop de tâches de travail, de réunions et trucs en présentiel, quelques sorties sociales prévues la même semaine, des allergies au pollen, mes hallux valgus dans une période d’aggravation très douloureuse, mon corps qui ne s’adapte pas à l’augmentation de la température et de la luminosité, pas de garantie d’avoir un revenu mensuel dans quelques jours, et surtout, un énorme problème de sanitaires dans mon appartement qui me fait passer la journée à éponger de l’eau souillée qui me vient des voisins, me donner de l’asthme à essayer de laver et désinfecter, me décaper les mains à force de rincer et désinfecter, me faire avoir peur d’aller aux toilettes, passer du temps au téléphone et par mail à harceler l’agence responsable de l’appart, avoir eu un ouvrier chez moi qui a tout défait, tout dégueulassé, et n’a pas su régler le problème.

J’ai passé une semaine épouvantable mais aussi très chouette parfois, parce que je suis en train de baisser mes AD et que je retrouve la capacité à pleurer pour me décharger, la possibilité de ressentir davantage les joies et enthousiasmes quotidiens et éphémères qui rendent la vie belle même quand elle est dure, parce que j’ai été à un apéro-dîner plutôt cool et que j’ai mangé une bonne glace italienne avec mes collègues sur une place qui ressemble à un petit morceau de Sud au beau milieu de Bruxelles, parce qu’on m’a proposé des projets super intéressants, et parce que je reconnecte toujours plus, toujours mieux, avec mes réflexes de régulation originels, stimmer, danser, me balancer, fredonner, chanter. Mais hier soir, mon corps a dit stop. J’en étais à mon troisième ou quatrième meltdown de la semaine, et là, ça a été un pas plus loin. Mon corps a juste refusé de fonctionner. Je suis resté bloqué, par terre, incapable de bouger malgré la position inconfortable, la soif, l’odeur d’humidité et de pisse qui venait des toilettes à re-re-re-nettoyer, les heures qui défilaient jusqu’à bien après minuit. Je suis resté bloqué pendant des heures par terre et mon cerveau a grillé. J’ai eu l’impression d’une fin du monde, et honnêtement, ce matin encore, je me demande si mon corps n’est pas juste en train de mourir en mode accéléré, genre, pour bientôt.Lire la suite »

Pourquoi éviter de parler de syndrome d’Asperger, et autres considérations sur l’histoire de la médecine

Je ne vais pas mentir, chaque fois que j’entends le terme asperger, je me crispe, et j’ai tout de suite des préjugés sur la personne, sur ses valeurs et sa vision du monde, et sur si on va s’entendre ou pas. C’est ma réaction automatique, mon alarme intérieure instinctive, qui s’allume aussi quand j’entends quelqu’un utiliser les mots « en surpoids » ou « obèse », « transsexuel » ou même « porteur de handicap ». C’est comme un signe qu’on ne sait pas les mêmes choses, qu’on ne commence pas un dialogue sur les mêmes bases de connaissances et de partis pris.

Mais j’essaye de ne pas me laisser arrêter tout de suite par ma crispation spontanée – surtout si la personne parle d’elle-même, parce que, autodétermination et trauma. Les mots sont importants, mais le fond du discours aussi, et ne s’arrêter qu’aux mots (s’arrêter dans le sens juger et condamner ; parce que s’arrêter dans le sens se retirer de la conversation ou ne plus s’exposer au contenu présentant ses mots est légitime quand on est une personne concernée et qu’on ne supporte pas la violence que ces mots portent) peut priver d’un dialogue bénéfique, et risque aussi de reproduire des violences classistes et validistes, parce que tout le monde n’a pas eu l’occasion au même rythme ou de la même manière de s’informer, d’acquérir des connaissances, de changer son langage. Moi aussi, j’ai utilisé les « mauvais mots », moi aussi j’ai appris, moi aussi je dis parfois des choses justes pas de la manière qu’il faut, ou des bêtises sous une forme acceptable. Par rapport au terme Asperger spécifiquement, la plupart du temps, je ne réagis même plus ou seulement superficiellement (« ce n’est plus un terme d’actualité ») – parce que je n’ai pas l’énergie, parce que ce n’est pas le moment d’expliquer, ou parce qu’au final ce n’est pas ça qui m’embête le plus quand on parle d’autisme. (même si, oui, je suis pour d’abandonner ce terme définitivement)

Au-delà du fait que je n’aime pas qu’on saute à la gorge de la moindre personne qui utilise le terme asperger ou l’expression « syndrome d’Asperger » en supposant que cette personne est forcément malveillante (je comprends cela dit, et je ne condamne pas les personnes autistes qui le font, c’est usant de faire face au validisme tout le temps, partout), ce qui m’agace parfois davantage, c’est qu’on réduise l’argumentaire à « c’est le nom d’un nazi », raccourci en « asperger = nazi », et même « n’importe qui utilisant son nom est complice du nazisme ». Alors, bon. Oui un peu. Mais non aussi. On vire vite à la pureté militante par principe – utiliser les « bons mots », mais sans comprendre les réalités derrière. Ce qui donne des personnes qui n’utilisent pas le mot asperger mais entretiennent et reproduisent quand même des croyances validistes, des personnes qui harcèlent sur internet des novices qui n’ont pas pu encore avoir accès aux connaissances et se retrouvent d’office rejeté·es de leur communauté, et des personnes qui font la police du vocabulaire sans pour autant elles-mêmes s’informer, se remettre en question, et se montrer alliées d’autres causes et problématiques qui reviennent exactement à la même chose.

Reprenons donc depuis le début.

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Je n’aime pas qu’on me demande comment je vais

Et pas juste parce que la plupart des gens posent un « ça va ? » automatique au début d’une conversation qui n’est même pas conscient et qui ne requiert pas vraiment une réponse, ni parce que j’ai passé les derniers mois à dire que j’étais épuisé et au bord du burnout et que la plupart des gens m’ont juste répondu que c’est super que je fasse autant de choses et que je commence à obtenir une reconnaissance professionnelle. Non, même avec mes ami·es qui se soucient réellement de moi, et même avec mes ami·es autistes qui ont passé leur vie à galérer avec les conventions sociales, la fatidique question « Comment vas-tu ? » me désoriente et m’angoisse. Voilà pourquoi.

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Copie blanche

Commentaire de ma prof de littérature de lycée sur une copie rendue blanche : « Il n’est ni très courageux ni très mature de refuser de se mesurer au réel, quand il ne semble pas facile. Il n’y a pas grande gloire à briller là où on est doué. C’est devant la difficulté qu’on mesure ses propres capacités. Songez-y. »

J’ai sûrement déjà raconté une partie de ce qui suit dans mes articles sur la scolarité, mais retrouver ça dans mes cartons m’a mis dans une telle colère et douleur que j’ai besoin d’y consacrer quelques lignes à part entière.

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Des monstres, de l’empathie et Karaba la sorcière

« Vos qualités ne disparaissent pas quand vous êtes fatigué·e », m’a dit ma psy en juin, alors que je me dévalorisais et m’inquiétais de perdre mes ami·es, puisque traversant une période d’épuisement et de trop-plein, j’étais incapable d’être l’ami·e que j’aurais aimé être, et que je ne voyais donc pas de raison que des gens continuent à m’aimer.

Mes qualités ne disparaissent pas selon le contexte, donc, paraît-il, et je continue à retourner cette phrase dans tous les sens et ne pas vraiment la comprendre. Ou ne pas l’accepter ? Ce qui est curieux parce que je pourrais très bien la dire à mes ami·es et y croire totalement, parce qu’en effet je n’évalue pas la performance de mes ami·es tous les mois et que je continue à les aimer et à croire en toutes leurs qualités et les percevoir comme des personnes riches et intéressantes et magiques et magnifiques, que l’on soit en contact ou pas, que l’on vive des choses ensemble ou pas, qu’iels aient l’énergie et le temps de me répondre et potentiellement de me soutenir, ou pas. Mais si je savais me juger de la même manière que je juge le reste du monde, j’aurais un budget psy plus réduit et je n’en serais pas là aujourd’hui à raconter à internet le comment et le pourquoi de ma maltraitance envers moi-même.

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