L’injonction à se trouver belleau et à s’aimer

Coucou, Bonjour, Salut, regarde je sais aussi parler d’autre chose que d’autisme. Même si parler corps et perception du corps est un sujet encore plus intime pour moi que de parler de mon cerveau (enfin le cerveau est dans mon corps, finalement, mais dichotomie occidentale moderne toussa toussa), c’est aussi politiquement (?) très important, et mes intérêts du moment sont en train de se reporter là-dessus à nouveau. [D’ailleurs je vais sûrement commencer à publier un peu d’anciens articles écrits sur la question du corps, de la grossophobie, des troubles alimentaires, du genre, écrits il y a longtemps et pas publiés encore, parce que je me suis remise à travailler là-dessus].

Alors, si, mon rapport au corps a aussi à voir avec l’autisme : je trouve ça barbant d’avoir un corps. Hypersensible. Qui surcharge. Qui ressent puissance 1000 tout le temps, c’est éreintant. Qui a des faiblesses, qui tombe malade, qui veut dormir, qui ralentit la vitesse de pensée quand il digère. Mon rapport passe aussi par un biais de genre : je trouve ça barbant d’être une femme et d’être classée dans le regard des autres comme « objet sexuel » (dès 9-10 ans, oui oui), ou « apparence plus importante qu’esprit ». Pour toutes ces raisons (formule hyper-concentrée 3 en 1, comme la lessive) je me suis à un certain âge désolidarisée de mon corps, j’ai voulu ignorer ses besoins de base (manger et dormir) et me réfugier dans ma tête. Mon corps s’est chargé de me rappeler son existence assez vite et s’est ensuit une guerre de plusieurs années que je narrerai dans un prochain épisode, soyez au rendez-vous. Aujourd’hui je veux parler amour de soi, amour du corps, et a-t-on besoin de se trouver beau-belle pour s’aimer (non).

Je sais que la mode, aujourd’hui, est au body positive, mouvement dont le sens a peut-être un peu changé quand il a commencé à être relayé par les magazines féminins (oui parce qu’il faut bien culpabiliser et vendre, quand même) : à la base, on dit que tous les corps sont OK. Sont bien. Peuvent exister. Doivent être respectés, par les autres et par soi-même. Doivent recevoir les soins qu’ils réclament. Ont le droit d’être employés dans toutes leurs fonctions. D’être montrés. D’être sublimés. D’être aimés. Et puis de là on est arrivé 1. à une myriade de photos de femmes en bikini ou lingerie fine (tant mieux, si ça leur fait plaisir, mais ce serait chouette aussi de voir d’autres représentations du « beau » qu’un standard monoculturel et hétérocenté) et 2. à une espèce d’injonction à s’aimer, encore pire, injonction à se trouver belle-beau, comme si c’était équivalent (je pourrais très bien me trouver pas très belle et m’en foutre totalement, ce n’est peut-être pas ce qui est le plus important pour moi, et on a le droit d’être moche et d’être aimé.e) (le moche et le beau étant relatifs évidemment, mais on a le droit d’être conscient.e de ne pas être belle-beau selon les standards actuels de notre société, ou de ne pas correspondre à nos propres goûts personnels, et de tout de même s’en contreficher et s’aimer pour un tas d’autres raisons).

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Entendons-nous bien. Je trouve ça chouette x3000 de voir des corps divers de femmes/hommes/X. J’ai toujours aimé la diversité des corps, des visages, des mouvements, des caractères. J’ai été moi aussi envahie par un trop-plein d’images irréalistes et malsaines (je n’ai rien contre les femmes maigres, j’ai quelque chose contre le fait de montrer comme modèle un corps à qui l’on a informatiquement raboté des morceaux d’os et rapetissé les pieds, bel idéal de faiblesse). J’aime que les femmes puissent s’afficher sur les réseaux sociaux avec leurs bourrelets, leurs vergetures, leurs cicatrices, leurs poils, leurs diverses couleurs de peaux non représentées ailleurs, pour s’entraîner à s’aimer ou trouver une reconnaissance. Je veux, moi aussi, que tous les corps puissent être montrables. Photographiables, photographiés. Tant qu’à voir des gens je veux bien les voir tou.te.s tel.le.s qu’iels sont, voir des gros.se.s, voir des malades, voir des gens en fauteuil ou portant une prothèse ailleurs que sur les affiches de Handicap International censées susciter de la pitié (!!), voir pas seulement des valides-blancs-jeunes-minces-musclés. Mais on n’est pas obligé de tout trouver « beau » (qu’est-ce que ça signifie), et d’ailleurs, au cas où on glisserait sur la question de l’amour réciproque et des relations romantiques et sexuelles, je rappelle que 1) beauté et désirabilité ne sont pas forcément liés. 2) on n’aime pas juste quelqu’un pour son physique, à ce que je sache et 3) je crois que 1 et 2 expriment plus ou moins la même chose – mais finalement ce n’est pas mon sujet d’article aujourd’hui donc whatever.

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Une artiste qui parle de body positivity, de santé mentale, de féminisme étou étou de manière touchante et pertinente, Maude Bergeron, Les Folies passagères

Scoop : on a le droit, aussi, de ne pas être à l’aise avec son corps. On a le droit de ne pas le montrer, de se protéger, de ne jamais vouloir se dénuder (dans un prochain épisode je parlerai pudeur, vaste et complexe sujet). On a le droit d’avoir des jours sans et de rêver momentanément à un autre corps, un autre nez, une autre peau, un autre tour de taille ou un système immunitaire qui ne s’auto-sabote pas. On a le droit d’avoir de la rancœur, d’avoir difficile de se voir dans le miroir, de regretter. ET on a le droit de ne pas y penser, on a le droit de s’accommoder du truc sans y accorder vraiment d’importance, en se disant bon je m’apprécie moyen physiquement je ne suis pas tip-top mais peu importe faut bien que j’accomplisse ma journée moi maintenant.

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Il se trouve que j’ai fait des progrès ces dernières années, j’aime mon corps. En tous cas je ne lui veux aucun mal, ou au moins j’aime bien lui faire du bien (non ça ne va pas de soi). Je ne sais pas toujours accepter la fatigue, la faiblesse et l’hypersensibilité, ok, mais globalement, je ne me torture pas trop. Je n’aime pas me forcer à faire des choses désagréables. Je sais que j’ai le droit de dire non à des contacts physiques qui ne me conviennent pas. Quand j’achète des habits maintenant je touche la matière avant de regarder le vêtement. Je me nourris correctement et j’aime ça. Parfois je sais même reconnaître que j’ai faim quand j’ai faim en-dehors des heures normales de repas et j’autorise mon corps à être nourri, parce qu’il a faim (again : ça ne va pas de soi). Je ne me force pas à faire du sport : je bouge quand et parce que ça me fait du bien. J’accepte globalement qu’en hiver mon ventre devienne une bouée qui stocke de la chaleur sous forme de graisse, pour autant que j’aie des vêtements dans lesquels confortablement loger cette bouée.

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Je suis revenue là-dessus parce que j’ai eu une petite conversation avec quelqu’un.e qui me faisait remarquer que je contrôlais mon poids alors que je parlais de tous les progrès accomplis ces dernières années. Entendre de l’extérieur que j’avais encore beaucoup de problèmes avec l’image de mon corps était blessant : pour moi, c’était, d’une part, nier le chemin parcouru, et d’autre part, me culpabiliser de mon incapacité à dépasser certaines choses (surtout en tant que féministe, je me dis que je devrais savoir envoyer au diable toutes les normes sociales genrées). Non, je ne contrôle pas mon poids, disais-je, puisque je ne possède pas de balance et que j’évite de me regarder trop dans le miroir – cela dit, je remarque quand mon corps change, oui, je remarque quand je forcis, je remarque quand je mincis, je remarque quand je muscule (du verbe musculer, faire du muscle) ou quand je graissonne (du verbe graissonner, faire de la graisse, oui oui), quand mon pantalon devient plus serré (mais peut-être est-ce aussi parce qu’il sort de la machine à laver) et quand mes manches de t-shirt soudain me pressent sous les épaules. Bon. Ce n’est pas du contrôle. Je remarque non seulement parce que je connais mon corps par cœur, mais surtout, surtout, parce que je ressens mon corps un peu trop et que oui, ça me dérange quand les choses sont serrées, quand mes parties de corps se touchent trop ou bougeottent tout le temps, ça me dérange – pas pour des questions esthétiques mais pour des raisons de confort, c’est pourquoi être en hiver est plus confortable qu’être en été, être en jogging est plus confortable qu’être en robe serrée, et être nue est plus confortable qu’être habillée, même si ce n’est pas forcément plus esthétique.

Comme beaucoup de femmes, j’ai subi depuis le plus jeune âge un lavage de cerveau sur l’apparence et j’ai du mal avec mon image, oui. J’ai longtemps souffert de dysmorphophobie (encore aujourd’hui quand je vais dans un magasin de vêtement je prends d’abord la taille 40 avant d’essayer le 38 puis de ressortir avec un 36… et je ne comprends jamais ce qui se passe), je n’aime pas les photos de moi, mais étrangement je n’aime pas trop non plus les compliments sur mon physique, ça me fait me sentir… physique. Et donc me ramène à des complexes. Dans mon débat sur est-ce-que-je-me-préoccupe-de-mon-poids-ou-pas, j’ai précisé que quand je n’étais pas sous le regard des autres, quand je porte des vêtements confortables, quand je danse ou nage ou suis en vacances dans la nature, quand je ne me regarde pas dans le miroir : je me sens bien, je me fiche de prendre un ou deux ou trois kilos et du coup peut-être que la plupart du temps je n’en prends pas. Plus de notions de contrôle ou autorisation, simplement de l’être.

Si j’évite de me peser, ça signifie que j’ai encore des problèmes avec mon poids ? Est-ce mal de ne pas vouloir de balance à la maison et de ne pas contempler ses jambes cinq fois par jour ? (Je n’aime pas mes jambes. Esthétiquement. Mais j’aime qu’elles soient musclées endurantes et me portent partout. Ça devrait me suffire). Est-ce qu’on reproche à un.e ancien.ne alcoolique de ne pas avoir des bouteilles de vin chez ellui et de ne pas savoir boire de temps à autre pour le plaisir ? On fait ce qu’on peut avec une dépendance. Avec mon ancienne dépendance au contrôle de mon poids (qui allait merveilleusement bien avec ma tendance à tout vouloir classer, lister, mesurer et organiser), je crois que la meilleure idée est de ne pas avoir d’outil de contrôle de poids à la maison. Non ?

Et puis surtout : le but d’une vie est-il de se trouver belleau ? Puis-je m’aimer sans me trouver belle, ou sans me trouver entièrement belle ? Dois-je culpabiliser de ne parfois pas m’aimer ? Ne dois-je pas plutôt m’entraîner à m’aimer même quand je ne me trouve pas belle ? Ou à me trouver belle parce que je m’aime, et pas le contraire ? (du genre je pourrais trouver belles mes jambes comme je trouve plus beaux les chevaux de traits que les chevaux de course : ils sont solides et rassurants. Voilà). Souvent, je ne pense même pas à si je me trouve belle ou pas, et ce sont les meilleurs moments. Parfois je n’ai aucune envie de me voir dans le miroir ou que qui que ce soit me voie, pas parce que je me sens hideuse, mais juste parce que je ne veux pas, justement, être jugée à la mesure d’un regard extérieur.

J’ai longtemps pensé qu’il fallait que je me trouve belle pour pouvoir dire que j’étais guérie de mes troubles alimentaires et de la dysmorphophobie. Mais je persiste à me trouver belle sur base de critères intérieurs (quand j’ai eu une discussion intéressante avec un.e amie, je me sens belle, quand je réfléchis intensément à des questions profondes et que j’ai les yeux qui pétillent de découverte, je me sens belle, quand je fais des câlins au soleil avec l’amoureux, je me sens belle) et non extérieurs (quel serait mon tour de taille ou la forme de mes fesses ou le grain de ma peau, whatever). J’ai surtout envie qu’on lâche un peu les femmes avec leur apparence. J’ai envie de me lâcher un peu avec mon apparence. Je veux aimer mon corps parce qu’il loge mon cerveau, qu’il irrigue mon cœur, qu’il me permet de soulever des choses, parcourir des kilomètres, entendre de la musique, voir de belles choses, et sentir l’odeur du café moulu le matin. D’ailleurs, ma moka, je l’aime parce qu’elle est pratique, fiable, et qu’elle fait du bon café. Parfois aussi je me dis qu’elle est belle, mais comme un truc parmi d’autres qui n’affecte pas sa fonctionnalité.

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Je l’aurais préférée vert pomme mais ça ne change pas le goût du café, n’est-ce pas

Parfois je me sens moche et grosse et terne et alors je reprends mes essais féministes (ou autre sujet intéressant) et je vais mieux, parce que quand je me sens moche, je pourrais tout autant dépenser de l’énergie à penser à autre chose de plus productif.

Autre exemple que le poids. Je fais l’expérience aussi ces mois-ci de ne pas m’épiler les aisselles (oui c’est une expérience, je m’épile depuis mes 10 ans, sympa la pression sociale n’est-ce pas), parce que ça me prend du temps, ça m’ennuie, et que les poils c’est tout doux. Mais je ne trouve pas ça esthétique sur moi : je suis plutôt du genre gorille (et ça ne se marie pas avec mes petites robes d’été à dentelle) et les filles qui montrent leurs aisselles non-épilées sur Instagram n’ont qu’une petite mousse châtain et délicate, moi j’ai plus de poils que mon mec. Donc je ne trouve pas ça beau, quand bien même je m’entraîne à me regarder tous les jours pour m’y habituer. Mais pour l’instant, j’ai tenu bon, je ne me suis pas épilée, parce que le sentiment d’à quel point c’est agréable de ne pas s’épiler (et de se caresser les dessous de bras, essayez pour voir) était plus important que le fait de me trouver belle. Et le jour où je m’épilerai à nouveau parce que l’esthétique sera plus important ce jour-là, ce sera ok aussi. Le truc essentiel, c’est qu’une chose n’a pas besoin d’être belle pour être légitime.

Je suis plutôt réconciliée avec mon corps, j’essaye de lui faire du bien, de lui faire plaisir, de le pousser à me faire ressentir des trucs cools. Mais je n’ai pas forcément envie d’avoir à l’exhiber ou le regarder tout le temps, merci. Et parfois aussi, parfois oui, parfois je ne l’aime pas, parfois je ne m’aime pas, parce que c’est dur d’être tout le temps soi en entier sans jamais de répit. Parfois je n’accepte pas d’avoir un corps femelle dans une société sexiste ou un corps fatigué dans une société capacitiste. Parfois je rêve de fondre et disparaître pour ne plus ressentir tout ce monde sur moi et en moi, ces muscles qui se crampent, cette graisse qui colle, ces tendons qui tirent, ces cheveux qui chatouillent, ces seins qui dépassent, cette peau qui réagit de partout. Ce sont les mauvais moments. On prend un livre et on attend que ça passe. Mais surtout, on ne culpabilise pas que ça arrive.

8 réflexions sur “L’injonction à se trouver belleau et à s’aimer

  1. Je pense que je vais adopter les verbes musculer et cramper. Je fais partie des filles qui ont un duvet châtain sous les bras et jamais je me les épile(rai) (bonjour la difficulté -motricité fine et toussa – et la douleur à s’infliger, c’est non). J’attends avec impatience les articles annoncés qui m’intéressent fortement !

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    • C’est vrai que quand je parle d’épilation ou de cup pour les règles (ça m’est arrivé plusieurs fois) j’oublie souvent que pour certaines personnes c’est impraticable ou difficilement pour raisons motrices !!! Merci de le rappeler 🙂 Ça m’intéresserait d’avoir des retours aussi sur le rapport au corps (à la « beauté », au fait de se montrer, à l#acceptation de comme on est avec ses limitations) de la part de personnes qui ont d’autres types de handicap(s) que moi.
      Pour moi j’ai été surtout marquée par mon hypersensibilité et par mes TCA.

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  2. Très intéressant.

    Ça me fait réaliser que j’accepte de plus en plus mon corps tel qu’il est. Je n’ai jamais accordé beaucoup d’importance à la beauté, mais toute la pression que les femmes reçoivent à ce sujet m’influence quand même et pendant longtemps je ne supportais pas mon dos en particulier, mon dos tordu, puis mon dos un peu moins tordu mais traversé d’une longue cicatrice. Je trouvais vraiment affreux de voir ce défaut et que les autres puissent le voir aussi. Tout ça n’est pourtant que la conséquence de la maladie et je ne peux rien y faire, alors puisque je dois vivre avec cette apparence jusqu’à la fin de ma vie, j’apprends à ne plus trop y faire attention. Mon dos n’est pas parfait ? Ok, tous les corps ont un minimum d’imperfections après tout, et c’est très bien comme ça. De temps en temps ça revient me déranger un peu, puis ça passe. C’est la vie. Parfois j’arrive même à presque être fière de ma cicatrice, je me dis que c’est une marque de guerrière, la preuve que j’ai surmonté de dures épreuves et que c’est quand même positif.

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    • Merci pour ton témoignage. J’ai toujours été intéressée aussi par ce rapport qu’ont les gens à leurs cicatrices, en particulier les grosses cicatrices qui témoignent d’un accident, d’une opération… mais j’ai beaucoup de mal avec mes petites cicatrices de blessures (vraiment pas très visibles) alors que je n’ai jamais été dérangées par mes cicatrices (visibles, et potentiellement choquantes) d’automutilation, parce que c’est mon histoire, j’en ai été actrice, et tant pis / tant mieux si ça a laissé des traces.
      Je crois que pour tous et particulièrement toutes il est difficile d’échapper à la pression des normes sociales, d’ignorer les commentaires ou les regards… d’où l’importance pour moi de rappeler, pas juste que tout le monde est potentiellement belleau, mais que la beauté n’est pas la fonction principale/dominante d’un corps 🙂

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